Voilà cinq mois que les riverains demandent aux élus une concertation pour le projet d’extension du cimetière, dont ils acceptent le principe mais pas l’emplacement. Il est temps de dresser un bilan à partir des faits écoulés. Le cimetière actuel de Cassagnabère a été créé vers 1820. Le projet d’extension (1/11e du cimetière actuel) sur la parcelle n°36, située dans un quartier résidentiel entre des maisons et le stade de football, suscite le mécontentement des riverains. Dans une commune de plus de 2000 habitants, la loi interdirait cette extension, car située à moins de 35 mètres d’habitations. En-dessous, c’est la liberté, ce qui ne veut pas dire le « Far West ». C’est pourquoi les riverains en appellent au dialogue et la concertation depuis octobre 2019. Les travaux d’aménagement se réalisent depuis janvier 2020 avec la création d’une enceinte bétonnée jusqu’à 2,30 m de haut, d’une double allée cimentée de 110 m2. Il ne reste plus que 200 m2 de « verdure » devant accueillir 6 modes d’inhumation (columbarium, puits de dispersion des cendres, espace de dispersion des cendres, cavurnes, ossuaire et caveaux de tombes), à la place d’une alternative de jardin d’accueil, comme le proposent les riverains. Aujourd’hui, les Cassagnabérois découvrent un quartier du village bétonné, dénaturé.
Vue le 11 mars 2020 de la parcelle n°36 depuis la sortie du stade de football
L’oubli des riverains
Les riverains ont exprimé leur opposition au projet d’extension du cimetière sur la parcelle n°36. Seulement les élus n’ont pas voulu entendre les propos exprimés : « Ne m’en parlez pas, cela me rend malade », « Ce projet est une connerie », « Peut-on entendre la voix des femmes et des enfants ? », « A-t-on pensé un instant aux enfants qui descendent du stade ? », « Feraient-ils cela devant leur maison ? », « Si cela arrivait devant chez moi, cela donnerait envie de mourir », « Je déteste ne pas être consulté », « Ce terrain ferait un beau jardin d’accueil qui manque actuellement, il ne peut être fait ailleurs, contrairement à l’extension en elle-même », « Je suis propriétaire, ma maison perd une partie de sa valeur » « Les élus nous oublient », « La démocratie locale ne fonctionne pas, comment peut-on concevoir un projet sans même aller voir les riverains les plus proches ? », « Déjà que les projets d’équipement sont rares, il n’y a aucune réunion de concertation, ce n’est pas normal », etc.
Entre octobre 2019 et le début de l’année 2020, il y avait tout le temps pour envisager sereinement les proposition d’alternatives proposées par les riverains sur les parcelles n°35 et n°36 pour offrir une issue positive au projet. Seulement les élus ont fait preuve d’un esprit de fermeture pour gagner du temps et ne rien changer. Au lieu d’être écoutés, les riverains se sont heurtés au mutisme des élus ou ont subi des intimidations. Qualifier, par exemple, d’« acharnement » la demande de concertation de la part des riverains dépasse l’entendement à l’heure de la démocratie inclusive et participative, qui tient compte des citoyens comme moteur du changement. Les élus, le maire et les adjoints rémunérés pourtant par les habitants contribuables, ne sont-ils pas au service des citoyens ? Le respect de la liberté d’expression, les attitudes humaines et bienveillantes devraient prévaloir. Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry dans Citadelle : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ».
La rue vers le stade désormais bétonnée, le 11 mars 2020
Les mensonges du maire
Le maire de Cassagnabère-Tournas refuse toute concertation. Pour les élections municipales 2020 pour lesquelles il se représente, il cite dans la Gazette du Comminges du 4 mars 2020 comme infrastructure l’extension du cimetière et déclare : « Il nous semble essentiel, pour le devenir de notre village, d’accueillir sereinement la pluralité des opinions et la diversité sociale et culturelle qui font aujourd’hui sa richesse. L’ouverture, le dialogue, la coopération sont les garants du bien vivre ensemble, de la vie même de notre commune ». Les riverains ne comprennent pas ces déclarations, alors qu’ils ont déployé dans un esprit toujours constructif, jamais sectaire ou politique, de l’énergie pour demander le dialogue et proposer des idées d’aménagement. Que faut-il de plus ? Sont-il exclus du vivre ensemble ?
Les faits contredisent les propos du maire, qui avait déjà fait des affirmations fausses dans la Gazette du Comminges du 27 novembre 2019. Une fois informé par les riverains de la demande de concertation en octobre 2019, le maire de Cassagnabère-Tournas n’est pas allé voir les riverains concernés qu’il ne connaissait pas. Sa seule proposition était de dire aux riverains d’aller devant les tribunaux (depuis, en grève, et maintenant fermés)… Il n’a pas répondu depuis fin octobre 2019 aux courriers et mails de concertation qui lui ont été adressés. Il raccroche au nez quand on tente de le joindre au téléphone. Il refuse, en toute illégalité, de communiquer les documents administratifs qui lui sont demandés comme les procès-verbaux des conseils municipaux . Pourtant l’article L. 300-1 du Code des relations entre le public et l’Administration (CRPA) garantit « le droit de toute personne à l’information (…) en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs » et aux archives publiques. C’est un droit, que veille à faire respecter la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA).
La Gazette du Comminges du 4 mars 2020
Une commune dans l’illégalité
Au cours de la mandature 2014-2020 qui s’achève, la commune de Cassagnabère-Tournas a autorisé sur la parcelle municipale n°35 (jouxtant le cimetière actuel) la construction sans permis de construire, selon le service du cadastre, d’une maison. Cette construction illégale cause aujourd’hui une grave conséquence : sa non-déclaration a faussé l’élaboration du PLUi entre 2015 et 2017, date de son adoption : la totalité de la parcelle n°35, où se trouve aussi le stade de football, aurait dû être classée zone urbaine à vocation d’équipements (UE) et aurait dû accueillir l’extension du cimetière, et non sur la parcelle n°36 (zone ERH1) dans une zone prélevée sur un quartier résidentiel (UA), face à plusieurs maisons. Fait aggravant, à cause de la commune, cette maison se trouve aujourd’hui construite en zone agricole inconstructible sur le PLUi (A, zone blanche).
« L’human washing » du département
Ce projet d’extension de cimetière est rendu possible grâce aux subventions du Conseil départemental de la Haute-Garonne. Cette administration n’a jamais répondu, en 5 mois, aux riverains qui l’ont saisie du problème de l’implantation du projet. Pourtant, le 16 janvier 2020, son président, Georges Méric, déclarait lors de la présentation de ses vœux : « La devise de Haute-Garonne est de mettre l’humain au centre du projet. » Le slogan du Conseil départemental, « L’humain au cœur de notre projet », s’inscrit dans la nouvelle tendance de l’« human washing » très bien décrite dans l’article « Human Washing » par Maxim Blondeau en octobre 2018. Comme le greenwashing qui consiste à verdir écologiquement une image, un produit ou une action, l’human washing porte des valeurs de bienveillance… que les riverains souhaiteraient éprouver. Un peu de dialogue est-il possible ?
« L’humain au cœur de notre projet », slogan 2020 du Conseil départemental de la Haute-Garonne
Les préconisations de la préfecture non suivies
La mairie n’a pas tenu compte des recommandations de la préfecture de la Haute-Garonne en réponse aux courriers des riverains : les « mécanismes de démocratie participative existent tels que le référendum local, à la demande du conseil municipal, ou la consultation (article L.1112-15 du code général des collectivités territoriales) à la demande, soit du conseil municipal, soit d’1/5ème des électeurs inscrits sur les listes électorales. (…) Les administrés doivent avoir été informés au minimum tant par l’affichage des délibérations que du permis de construire. » Il n’y a pas eu de permis de construire déposé. Par ailleurs, la préfecture énonçait « qu’un rapport qu’un hydrogéologue est souhaitable ». Il n’a pas eu lieu, alors que les pluies automnales et hivernales ont montré que le terrain non encore bétonné était inondable. Le risque ne peut que s’accroître avec l’aménagement en cours. Enfin, la position de la préfecture dénotait une certaine réserve à l’égard de ce projet en le qualifiant de « choix d’opportunité » et incitait au dialogue puisqu’elle reconnaissait les alternatives proposées par les riverains, tant sur la parcelle n°35 que sur celle n°36, comme « intéressantes ». Le maire lui-même avait reconnu en octobre 2019 l’idée d’un jardin d’accueil sur la parcelle n°36 comme une « une très bonne idée », sans donner suite. Certains élus reconnaissent aujourd’hui que, de toute évidence, quand la vingtaine de concessions tombales seront occupées dans 10, 20 ans… il faudra aménager une extension sur la parcelle n°35… comme le proposent aujourd’hui les riverains.
L’absence de concertation
Au XXIe siècle, il existe des mécanismes et méthodes de concertation pour les projets d’aménagement urbains, comme en témoignent les sept livres ci-dessous qui leur sont consacrés. Avec l’urbanisme décentralisé, les décisions locales doivent être débattues, car l’aménagement du territoire met en confrontation les droits des habitants avec ceux des collectivités. C’est pourquoi même les juges administratifs exigent de nos jours une concertation « réelle et effective ». Par exemple, la méthode du « Community planning » rend les citoyens actifs dans l’élaboration du projet urbain et leur laisse exprimer leur créativité. Cette pratique vaut d’être vécue et encouragée pour tout l’enrichissement mutuel qu’elle apporte, pour sa force de mise en mouvement des acteurs et sa finesse d’ajustement d’un projet dans un contexte local. C’est une aventure humaine des plus passionnantes que celle de rechercher le plus grand dénominateur commun de ce qui fondera le développement d’un territoire à léguer aux générations futures. C’est aussi l’occasion de lutter contre le désintérêt du local et, in fine, contre la désertification rurale.
Ouvrages sur la concertation en urbanisme
Dans cet esprit, il y a la possibilité d’ouvrir un début de concertation par des décisions consensuelles comme, par exemple :
- la végétalisation de la parcelle n°36, quelle que soit sa vocation, le long des murs en cours de construction afin de donner de la quiétude naturelle à cet espace situé à 10 cm de la route, d’autant que le cimetière actuel est complètement minéral, sans aucun arbre, contrairement aux cimetières d’autres villages voisins. Comment ne pas être aussi à la hauteur du nom même de notre village, Cassagnabère, qui signifie « belle chênaie » ? Cela ne coûterait rien. La nature apporterait une touche d’humanité et de beauté dans un monde qui en manque tant.
- l’installation de plusieurs bancs dans la parcelle n°36 et non d’un seul car, de l’avis de tous, il manque d’un espace d’accueil pour le cimetière actuel.
- l’hommage aux personnes disparues, dont les tombes dans le cimetière actuel ont disparu ou se sont dégradées, avec l’installation de signes ou d’un plan avec les noms de famille. Si les élus ont refusé la reprise des « concessions en état d’abandon » pourtant autorisée par le code général des collectivités territoriales (CGCT) et pratiquée sur les communes voisines, il faudrait aller au bout de la logique en permettant aux vivants d’honorer la mémoire de tous les morts.
Une perte de sens
La destinée de cette parcelle agit aujourd’hui, pour l’histoire et pour demain comme un révélateur. Elle révèle une altération de sens : sens de la vie, sens de la mort, sens du sacré, sens de la nature, sens du vivre ensemble, sens du verbe. Un exemple récent, dans la commune voisine de Boussan, illustre cette confusion de sens. Dans son bulletin, « La Gazette Boussanaise » de février 2020, la mairie annonce la création d’un espace cinéraire avec « 9 cases, 3 cavurnes, le jardin du souvenir avec la fosse de dispersion ». Cette expression de « fosse de dispersion » pour la répartition des cendres des défunts est un malencontreux mésusage, rappelant les fosses communes. Il s’agit en fait d’un « puits de dispersion des cendres » qui est déjà un terme peu heureux, alors que le puits, pour récolter l’eau, est principe de vie. En ces temps troublés, notamment par l’épidémie, sans doute passagère, du coronavirus Covid-19, il ne faudrait pas non plus invoquer l’argument de l’urgence pour justifier a posteriori l’absence totale de concertation pour ce projet, certes utile mais qui doit s’inscrire dans le long terme. Il n’est pas trop tard pour remettre de l’humanisme et du sens.
[Mise à jour du 11 mai 2020] Un gâchis confirmé par la crise sanitaire
Le confinement de la population française dû à l’épidémie du Covid-19 a pris fin. Quels enseignements tirer pour Cassagnabère ? Ce confinement a montré que la demande des habitants d’avoir sur cette parcelle un espace vert était LA SOLUTION. Faute de l’avoir, les habitants, notamment ceux privés de grand jardin (car tout le monde n’a pas un jardin) ou ceux ayant un animal de compagnie par exemple, ont marché et fait le tour de ce quartier résidentiel, regrettant de ne pas avoir un lieu de verdure. Les enfants jouaient au football sur l’asphalte devant cette parcelle et faisaient rebondir le ballon sur le nouveau mur érigé… La crise sanitaire a montré que l’organisation spatiale était à prendre en compte : le fait que la création d’une extension de cimetière dans les communes de plus de 2000 habitants soit interdit aurait dû faire réfléchir dans un petit village comme Cassagnabère. Au lieu de voir la réalité, la mairie s’est entêtée dans son aveuglement à construire une extension de cimetière. Pendant le confinement, l’entreprise « SARL Entreprise Moreira » a terminé de bétonner la parcelle pour une montant de 44 460 €. La surface de béton utilisée (allées et enceinte en parpaings) correspond à la superficie totale du terrain ! A l’heure du réchauffement climatique et de la destruction des écosystèmes, le bilan carbone engendré par cette construction est élevé, rapporté à la taille du terrain. Le colombarium de la « SARL Barrere-Barbe » comprenant six cases d’une valeur de 5455 € a été installé, au dos d’une maison familiale. Une stèle sur laquelle est gravé « Jardin du souvenir » a été scellée sur la dalle bétonnée, face à un mur de plus de 2 mètres de haut…
« Le monde d’après » est un combat permanent
La destinée de cette parcelle est l’illustration du combat qu’il faut mener face à la bêtise humaine qui conduit notre planète dans le mur. Durant le confinement, tout le monde a pensé au « monde d’après ». Il est ressorti un consensus pour bâtir une société de la vie, plus écologique, comme le montre la Une du Figaro Magazine, « Le retour au jardin », de ce week-end du 9-10 mai 2020. Les gens ont échangé leurs idées par visioconférence. Les croyants ont lu ou relu la lettre encyclique « Laudato si’ ». A Cassagnabère, les élus ont démontré leur incapacité à anticiper et comprendre ce « monde d’après ». Il n’y aurait pas eu de honte à changer d’avis. Le temps inscrira leur choix comme une erreur. La voix des générations futures finira par être entendue.
A cinquante d’écart, la chanson « Il y avait un jardin » de Georges Moustaki, écrite en 1970, agit aujourd’hui comme un révélateur. Il n’y a plus de temps à perdre, gardons espoir et agissons pour que le réveil des consciences se transforme en actes.
« C’est une chanson pour les enfants
Qui naissent et qui vivent entre l’acier
Et le bitume, entre le béton et l’asphalte
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin »